Energies Intermittentes et excédent d’électricité
La production d’électricité se fait à partir de deux types de sources :
  • les sources pilotables – qui produisent à la demande : ce sont les centrales nucléaires, les centrales à énergie fossile : principalement le gaz, et de manière marginale le charbon et le fuel, et les centrales hydroélectriques disposant d’un barrage
  • les sources non pilotables, qui produisent non à la demande, mais de maniere aléatoire et intermittente : ce sont le solaire et l’éolien, et les centrales hydroélectriques au fil de l’eau, dont la production n’est pratiquement pas stockable, tout au plus légèrement modulable

Le tableau ci dessous présente les puissances installées à la fin de 2022 de ces différentes sources d’électricité

 

Si le nucléaire représente 43% de la puissance installée, l’ensemble des énergies renouvelables : Hydraulique, Eolien, Solaire et Bioenergies représentent 46%

Aujourd’hui, la problématique de gestion du mix énergétique pour la production d’électricité est double. Il faut :
  • d’une part disposer de suffisamment de source d’énergie pilotable pour faire face à la demande d’électricité, qui peut être importante en période hivernale
  • d’autre part, ne pas avoir de surplus de production lorsque l’électricité de source non pilotable est produite en quantité importante
Lors d’une soirée hivernale non ventée, donc sans énergie solaire et éolienne, l’électricité est fournie pratiquement exclusivement par les sources pilotables. Pour peu qu’il fasse vraiment froid, la demande est maximale et nécessite donc de disposer d’une puissance installée pilotable importante. Pour donner un ordre de grandeur, une puissance de 80 GW peut être appelée en période hivernale, le record se situant à 102 GW le 8 Février 2012
Pour illustrer ce commentaire, voici la situation le 10 Janvier 2023 :
  • la puissance disponible en nucléaire était proche de 50 GW, et  la puissance appelée de 48,8 GW. Le nucléaire fonctionnait donc à plein
  • la puissance installée en solaire était de 16GW et de 21 GW en éolien, soit un total de 37 GW. A 19h, la production de ces deux sources renouvelables correspondait à une puissance de  2,3 GW, ne représentant que 6 % de la puissance installée.
Cette situation illustre bien la problématique de l’intermittence : même avec un puissance installée importante, la production à un moment donnée peut être très faible.
A l’opposé, à la mi journée d’une belle journée printanière, d’été ou automnale, qui plus est, ventée, la production éolienne et solaire est maximale. Sachant que ces deux sources d’énergie sont prioritaires sur les autres sources, et peuvent facilement dépasser 15 GW, les autres sources d’énergies ne doivent fournir que 35 à 40 GW, sur la base d’une consommation nationale qui peut n’être que de 50 à 55 GW – montant qui correspond à des périodes hors chauffage où à des fins de semaine. Or ces autres sources d’énergie ont la capacité de produire beaucoup plus que 35 à 40 GW, et leur production doit être réduite pour éviter un excédent d’électricité.
Pour illustrer ce commentaire, voici la situation le 20 Mai 2023 :
  • la puissance disponible en nucléaire était proche de 37 GW, et  la puissance appelée de 28,8 GW. Donc le nucléaire ne fonctionnait pas à plein, mais au alentours de 80% de sa puissance maximale
  • la puissance installée en solaire et en éolien était similaire à celle de Décembre 2022, soit respectivement 16GW et 21 GW, soit un total de 37 GW. A 14h, la production de ces deux sources renouvelables correspondait à une puissance de  14,3 GW, représentant  près de 40 % de la puissance installée.

 

Cette situation illustre bien qu’à puissance installée identique, la production d’électricité de source renouvelable peut varier dans des proportions tres importantes. Et dans le même temps, la production de source nucléaire doit être réduite, évitant de générer un surplus sans usage.

Que se passe-t-il aujourd’hui pour cette électricité en surplus excédant la consommation nationale ? 
  • Tout d’abord, une partie peut être exportée. Les connexions internationales permettent d’exporter jusqu’à 14 GW en puissance instantanée.
  • Ensuite une seconde partie peut être stockée. La France dispose de STEP – stations de pompage turbinage – d’une puissance 5 GW, qui permettent de remonter de l’eau d’une retenue d’eau basse vers une retenue d’eau haute. Cette opération consomme de l’énergie électrique. Cette même eau peut ensuite être turbinée de la retenue haute vers la retenue basse en produisant de l’électricité lorsque la demande le nécessitera.
  • Enfin, la production des sources pilotables peut être réduite jusqu’à un niveau équilibrant l’offre et la demande. Pour celle produite à partir d’énergies fossiles, c’est instantané. Plus compliqué pour le nucléaire : la production des centrales peut être modulée, mais pas arrêtée complètement.
Le schéma ci dessous illustre très bien cette situation : Dimanche 5 Novembre 2023,
  • l’export a atteint ponctuellement 14 GW
  • il y a eu du pompage d’eau une bonne partie de la journée
  • alors que la puissance disponible des centrales nucléaires était de 40 GW, la puissance appelée a été réduite entre 26 et 34 GW pendant pratiquement toute de la journée. Soit une baisse de près de 10 GW de puissance en moyenne, et donc un excédent – non produit – d’environ 200 GWh.

Cette situation n’est pas unique.
Elle se présente même assez fréquemment.
La SFEN (Société Française d’Energie Nucléaire) estime dans son article « transition du système électrique : quel rôle pour le nucléaire d’ici 2035 ? » que cette modulation par les centrales nucléaires représente 30 TWh par an. Soit près de 10% de la production électronucléaire annuelle d’EDF. 30 TWh qui auraient pu être produits pratiquement sans cout additionnel, puisque le cout de production d’une centrale nucléaire est presque le même, qu’elle produise de manière réduite où à pleine puissance.
Avoir à disposition autant de TWh dont le cout de production est déjà intégré globalement dans la tarification, et ne pas les utiliser est quand même plus que dommage.
Et ce nombre de TWh en excédent va augmenter au cours des prochaines années puisque la production d’énergie d’origine solaire et éolienne est appelé à s’accroître. Très concrètement, l’objectif que les énergies renouvelables représentent 42,5% de la consommation d’énergie  de l’Union Européenne a été voté le 12 Septembre 2023.
Alors, que faire pour profiter de ces TWh à disposition ?
  • Bien sûr, accélérer encore plus le passage des usages d’énergie fossiles vers l’électrique, comme c’est le cas pour les processus industriels, la mobilité (motorisation électrique, incluant l’hydrogène), le chauffage (avec le développement des pompes à chaleur), etc…
  • Et également, mettre en place des politiques incitatives pour réduire la taille des pics de demande hivernaux et éviter ainsi à avoir à installer de nouvelles puissances pilotables qui ne servent qu’à ces quelques occasions dans l’année.
    • Délestage ponctuel des gros consommateurs, réduction d’activités non prioritaires, généralisation des tarifications graduelles, les outils sont nombreux pour y arriver.
    • L’incitation venant d’ailleurs souvent du prix, une évolution de la tarification, avec des prix du KWh progressif lors des journées de forte consommation devra être généralisée et non pas seulement appliquée à des types d’abonnement spécifiques
  • Ensuite, developper un plan de stockage par STEP qui soit ambitieux. Les diverses planifications envisagent dans les 10 à 15 prochaines années le développement de 2 STEP, pour 1,5GW. Insuffisant. Il en faut au moins 10 GW. L’adaptation de barrages existant devrait permettre la mise en place d’un tel plan.
  • Enfin, developper le stockage par hydrogène pour les usages industriels, et également pour la mobilité. Meme si le rendement de la chaine électrolyse/pile à combustible n’est que de l’ordre de 30%, c’est toujours mieux que la non production, dont le rendement est 0%
  • Le stockage par batterie peut être utilisé, mais seulement pour des puissances plus réduites. A grande échelle, ce type de stockage nécessiterait beaucoup de métal, et en particulier de lithium. Il serait dommage que le développement des énergies renouvelables mis en place pour réduire la dépendance aux énergies fossiles s’accompagne d’une augmentation de celle au lithium, substance non renouvelable. Alors que l’option du stockage par STEP, lui, est renouvelable, le pompage et le turbinage de l’eau étant renouvelable sans limite une fois l’infrastructure mise en place
Moyenne annuelle versus réalité quotidienne :
Les raccourcis comparant consommation et production d’électricité sur une base annuelle ignorent les écarts observés au cours des différentes périodes de l’année.
Or ce sont bien ces écarts qui sont compliqués à gérer. Il ne peuvent être ignorés, sous peine de conclusions erronées.

En résumé :

  • Pour les énergies renouvelables, pour une puissance installée donnée, et du fait de leur intermittence, l’amplitude des puissances instantanées disponibles peut varier dans des proportions importantes.
  • En conséquence, il est impératif de développer en parallèle des systèmes de stockage
  • Ne pas le faire conduit à une impasse en termes de gestion de mix énergétique, avec une baisse du facteur de charge des centrales nucléaires, et au niveau économique, à une augmentation du cout du KWh.
  • Un plan ambitieux de stockage par station de pompage turbinage doit être développé.
  • Afin d’éviter de trop augmenter la puissance maximale installée, réduire les pics de consommation est un objectif prioritaire. Le consommateur va devoir modifier son comportement, avec des incitations en terme économique
En conclusion :
Avec le développement des énergies renouvelables, le concept de modulation de la production d’électricité d’origine nucléaire et son corollaire, la gestion de l’excédent d’électricité en période de forte production d’électricité d’origine renouvelable, vont prendre une ampleur de plus en plus importante.
Le plan d’action pour y remédier doit être mis en place rapidement, si l’on souhaite éviter que ne s’accroisse cet excédent de KWh non utilisés.
Imprimer

Laisser un commentaire

Fermer le menu
Your Name *
Your Email *

Subject

Your Message