Le transport des personnes et des marchandises par la route est l’une des activités humaines qui devrait connaître des changements radicaux au cours des prochaines années, avec un abandon progressif des carburants d’origine fossile et un basculement vers des modes de propulsion de type électrique.
L’option de l’hydrogène, avec un électrolyseur pour sa production puis l’utilisation de la pile à combustible, est pénalisée par un faible rendement global de son cycle production/stockage/utilisation, ce qui rend son développement confidentiel pour des usages de mobilité. Aujourd’hui, c’est la propulsion alimentée en électricité par un stockage dans des batteries qui se développe avec la dynamique la plus forte.
Alors, quelle quantité d’énergie électrique serait nécessaire pour alimenter le parc automobile et celui des transports par route si la propulsion était intégralement électrique avec utilisation de batteries et de quelle puissance installée aura-t-on besoin ?
Combien de KWh pour remplacer un litre de carburant ?
Sur la base d’une consommation pour 100 km :
- de 8 litres de carburant pour un véhicule à propulsion thermique (moyenne estimée pour tout type de véhicule, allant de la petite citadine au camion)
- de 16 kilowattheures (kWh) pour un véhicule à propulsion électrique (moyenne pour les véhicules électriques actuellement utilisés)
on arrive à l’équivalence suivante :
2 kWh consommés dans un véhicule à propulsion électrique
permettent de parcourir la même distance que
1 litre de carburant consommé dans un véhicule à propulsion thermique
Combien de KWh pour tous les véhicules ?
En 2024, la consommation de carburant routier (essence et gazole) en France a été de 47,8 millions de mètres cubes, tous véhicules confondus (voitures, fourgonnettes, camions…)
Sur la base de l’équivalence 1litre = 2kWh, si tous les véhicules avaient fonctionné en 2024 avec des propulsions électriques, il aurait fallu environ :
95,6 térawatt-heure (TWh) d’électricité en lieu et place
des 47,8 millions de mètres cube de carburants routiers.
Rapporté à la consommation d’électricité totale de la France en 2024, soit 442 TWH, une substitution totale des carburants par des propulsions électriques se serait donc traduit par une augmentation de près de 22% de la consommation électrique française.
Comment produire une telle quantité d’électricité ?
Afin de déterminer des ordres de grandeur, passons en revue des sources d’électricité à faible empreinte carbone susceptibles de fournir une telle quantité d’énergie
Le nucléaire
Pour mémoire, le parc actuel s’élève à 57 réacteurs nucléaires représentant une puissance installée de 63 GW.
Sur la base d’un fonctionnement annuel d’un réacteur nucléaire de 6.000 heures par an, la puissance installée nécessaire à la production de 95,6 TWh est de l’ordre de 16 GW
Soit l’équivalent de 16 centrales nucléaires classiques ou de 10 EPR. Soit l’équivalent d’environ 25% du parc nucléaire actuel.
L’éolien
Pour mémoire, la puissance installée actuelle du parc éolien est de 25 GW.
Sur la base d’un fonctionnement annuel d’une éolienne de 2.500 heures par an, la puissance installée nécessaire à la production de 95,6 TWh est de l’ordre de 38 GW.
Ce qui nécessiterait un parc d’éoliennes 1,5 fois plus important qu’aujourd’hui.
Cela en supposant que les batteries des véhicules soient rechargées au moment où les éoliennes tournent.
Le problème de stockage des énergies intermittentes et de leur absence de pilotage, apparaît ainsi de manière crue lorsque l’on met en regard la production d’électricité avec les besoins des consommateurs pour des activités spécifiques et bien identifiées, de plus de taille significative
Le solaire
Pour mémoire, la puissance installée actuelle en solaire est de 27 GW.
Sur la base d’un fonctionnement annuel moyen d’un panneau solaire de 1.100 heures par an en équivalent capacité maximale, la puissance installée nécessaire à la production de 95,6 TWh est de l’ordre de 87 GW.
Donc il faudrait un parc d’installations solaires 3,2 fois plus Important qu’aujourd’hui. Il s’agit d’une moyenne : là encore et comme pour l’éolien, l’électricité d’origine photovoltaïque est intermittente. Au mois de janvier, avec des journées courtes et donc peu d’énergie solaire disponible, il n’y aurait pas beaucoup de véhicules électriques sur les routes….
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En fait aujourd’hui, la production d’électricité de la France permettrait en théorie pratiquement de couvrir ce besoin sans investissement dans de nouvelles capacités de production, puisque la production d’électricité en 2024 a été supérieure à la consommation et a permis d’exporter 89 TWh.
Et si l’on y rajoute les TWh qui n’ont pas été produits, alors qu’ils auraient pu l’être, du fait de la modulation des unités de production lors des pics de production liés au développement des énergies renouvelables, le montant de 95,6 TWh aurait théoriquement pu être produit avec les moyens de production actuels, couvrant donc ainsi complètement le besoin de recharge des batteries pour la mobilité.
Mais cela supposerait que les batteries soient rechargées exactement au moment où l’électricité est disponible, ce qui n’est clairement pas réaliste.
Et par ailleurs, cela supposerait d’arrêter les exportations d’électricité
Ce qui, d’une part
* déséquilibrerait le marché électrique européen qui utilise sur les surplus de production d’électricité française, évitant ainsi d’avoir recours au mode de production marginal, c’est à dire généralement le gaz, émetteur de CO2.
* d’autre part, annulerait globalement la réduction de CO2 réalisée par le passage à une mobilité 100% électrique en France du fait de l’augmentation de CO2 liée à l’usage de combustibles fossiles pour produire de l’électricité dans les pays européens aujourd’hui importateurs d’électricité française très largement décarbonée, et ce tant que ces pays continuent à utiliser de manière importante les énergies fossiles pour produire de l’électricité
Donc dans les faits, compte tenu des ordres de grandeur en jeu, et de la flexibilité qu’il convient de garder pour gérer les fluctuations de consommation d’électricité, il faudrait augmenter au moins partiellement la puissance installée en France.
Et ce d’autant plus que d’autres activités (chauffage, procédés industriels) vont également basculer vers l’l’électricité, augmentant d’autant le besoin.
Conclusion
Cette simulation a pour intérêt de présenter les ordres de grandeurs pour une activité bien définie, à savoir le basculement vers l’électricité du mode de propulsion des véhicules sur route.
Les chiffres ci-dessus montrent que les ordres de grandeur en jeu sont très importants, les délais de mise en œuvre forcément très longs.
Il est important de prendre les mesures appropriées avec suffisamment d’anticipation pour que la décarbonation des activités humaines soit bien orchestrée, et ne crée pas le chaos par manque de planification.
** Une première version de cet article avait été publié en Septembre 2021. Cette nouvelle version est rédigée avec des chiffres plus récents.

